Ce joli coin s’appelle Pors-Beac’h. Prononcez « Pors-ber » et surtout pas « Pors-bitch », à l’anglaise. Car vous êtes sur le site historique du renouveau de la culture maritime bretonne.C’est ici, pas très loin de Brest, qu’eut lieu en juillet 1980 le premier rassemblement de vieux gréements. Belle ambiance. Mais personne, à l’époque, ne pouvait imaginer que Pors-Beac’h allait donner naissance aux plus gigantesques fêtes jamais organisées en Bretagne.Le renouveau de la culture bretonne, ne le cherchez pas à Douarnenez, Saint-Malo ou Brest. Quand dans les années 70 se lève le vent nouveau, il ne vient pas de la mer. Il vient de la terre. De l’Argoat, de Stivell, des festou-noz de Poullaouën ou de Spézet et d’un patrimoine breton fait de pierre, de landes et de kan-ha-diskan. Ce n’est que plus tard, dans le sillage de quelques passionnés, que la culture maritime renaîtra, à son tour, dans le berceau de Pors-Beac’h. Bernard Cadoret le précurseur Jakez Kerhoas, fils du fondateur des classes de mer, est tombé dedans quand il était petit. Et il n’en est toujours pas ressorti. De Pors-Beac’h 80 à Brest 96, il est l’inamovible acteur et témoin des fêtes de la voile traditionnelle.De cette renaissance, il garde quelques solides repères : « Il y eut, bien sûr, dit-il, les « Old Gaffers » de Saint-Malo, une association de propriétaires de vieilles coques. Et puis, plus tard, Bernard Cadoret a fait oeuvre de précurseur en lançant les bases d’une véritable ethnologie de la mer, à travers des ouvrages de référence, comme « Ar Vag », consacré à la voile au travail en Bretagne-Atlantique ». Bernard Cadoret, les spécialistes le savent, avait repris la revue « Le Petit Perroquet ». Il en fera le superbe « Chasse Marée », pilier de la culture maritime et de l’organisation des plus grandes fêtes de la mer.
La naissance d’un concept
A l’aube des années 80, le mouvement s’amorce.
Et c’est une escale des Old Gaffers, à Pors-Beac’h (commune de Logonna-Daoulas), qui servira de prétexte au premier rassemblement.Avec trois potes aux commandes : Gilbert Le Moigne, prof d’anglais et culturel de l’équipe, Henri Gourvès, le gestionnaire, devenu directeur régional du Crédit Industriel de l’Ouest et Jakez Kerhoas, organisateur-animateur que sa licence en droit avait fait préférer la barre des bateaux à celle des tribunaux.Et dès le départ, Pors-Beac’h a réuni tous les éléments d’un concept sur lequel reposent Brest 96 et bien d’autres fêtes, y compris à l’étranger comme Bristol 96 : des bateaux, des animations sur les quais, des victuailles pour aller avec et même un premier partenaire. « Eric Chourenoux, le directeur d’Elf-Aquitaine Norvège, nous avait envoyé un chèque de 30.000 F. C’était un passionné, propriétaire d’un superbe bateau de 25m, l’ « Anna-Afsand ».
« Je me faisais insulter »
« Il y avait les marins mais aussi les agriculteurs du coin. Ils nous avaient donné un bon coup de main. Cette fête, c’était comme une première osmose entre la mer et la terre. Question bouffe, on n’avait pas lésiné : un kig-ha-farz pour 1.500 personnes, cuit dans une cuve à chauler les tuiles. Avec une buvette de 70 m où on ne servait pas n’importe quoi. Il y avait même du Léoville-Lascazes, 2e grand cru classé de Bordeaux. Aujourd’hui, tu ne trouves pas une bouteille à moins de 500 balles ! »Seul problème : le prix d’entrée, fixé à 30 F (environ 62 F actuels) : « On voulait se donner les moyens de notre liberté, insiste Jackez Kerhoas. Ce n’était pas une kermesse. Mais tu ne peux pas savoir comment je me suis fait insulter à cause du tarif d’entrée. « Pourri », « vendu »… Surtout par certains baba-cool de l’époque. » Les râleurs, Jackez les envoyait aux moules.Depuis, on vous prévient, il n’a pas beaucoup changé… « Vous connaissez quelque chose aux bateaux ? » Et puis, il y avait, bien sûr, les bateaux. Sur le budget de cette fête (environ 500.000 F), Jakez et ses potes avaient même acheté, pour 75.000 F, deux Oselvar norvégiens, construits en direct.L’amorce d’un mouvement qui donnera naissance à bien d’autres bateaux, à toute une série de fêtes (Pors-Beac’h 82 et 84, Douarnenez 86 et 88, Brest 92 et maintenant 96) et à l’émergence de quelques figures de proue. Telle Anne Burlat, cette Parisienne candidate à un poste au Chasse-Marée.Jackez raconte : « On avait reçu sa candidature. Elle avait le profil. Quand je l’ai appelée au téléphone, je lui ai demandé : « Vous connaissez quelque chose aux bateaux ? ». Elle m’a répondu « Rien du tout ». Je lui ai dit « OK. Ne dîtes plus jamais ça. » Depuis, Anne Burlat est devenue une spécialiste mondiale de la voile traditionnelle. Si, si. Même le maire d’un port hollandais est récemment venu le dire à Brest. Preuve que Pors-Beac’h a aussi fait quelques miracles.René Perez